j’avais pourtant bien rencontré, sur ma route, au petit matin, cinq ou six camions en convoi. Ils étaient chargés, chacun dans sa benne d’acier, de groupes d’hommes équipés de pelles, de pioches. En prévision de la grosse chaleur qui ne pouvait manquer de s’apesantir, en cette saison annonciatrice de mousson, les hommes étaient emmitouflés de lainages, certains même cachaient leur visage sous un passe-montagnes. En ces jours, parmi les plus pénibles, la nature et les hommes s’apprêtaient à suer. La sueur montait des rizières et s’étalait en une sorte de brume légère.
j’avais posé des questions, mais je n’avais pas bien compris les réponses que mon chauffeur m’avait faites.
Elles m’avaient semblé bizarres ... Allons, encore une chose incomprise : La barrière des langues ! Mon lourd paquebot climatisé avait continué sa route et je n’avais plus pensé à rien.
L’après-midi, j’avais visité la ville. Ville de bois et de parpaings,à toitures de tôles, échoppes incertaines, le marché, vide à cette heure-ci, un rond-point surmonté d’un pagodon doré, réservoir d’eau rougie, cages de bois toutes petites contenant chacune un ménate siffleur et parleur, balcons branlants, odeurs d’épices, guirlandes de papier découpé.
Il faut bien se souvenir de l’itinéraire que l’on a suivi car on ne pourra demander son chemin à personne. Les panneaux de circulation routière sont énigmatiques et leur écriture m’est absolument inconnue. Sois sans crainte : Les rues se coupent à angles droits et tu as tourné à droite deux fois, puis une fois à gauche ... Tu ne devrais pas avoir de difficultés pour retrouver l’hôtel.
L’hôtel : Quelques chambres dans des bâtiments sans étage, organisés sur le périmètre d’une cour en terre battue. La terre est rouge ici, comme de la bauxite. Les arbres sont rares. L’air sent la poussière. Tout est poudré de poussière rouge. Deux buffles vautrés dans le ruisseau. Leur peau est rose et noire. Ils lèvent leurs muffles. Dans le même ruisseau, une femme récolte des liserons d’eau. L’hôtesse m’accueille avec un sourire. Elle joint les mains et me salue en les portant à son front. Elle plie les genoux. Elle a mis le climatiseur en route dans ma chambre et elle a déposé quelques orchidées violettes dans une coupe.
Je n’ai pas dormi, la nuit dernière. Juste derrière ma chambre, il y a une pagode. On y célébrait quelque chose. Je ne sais quoi et je n’ai personne pour me renseigner mais la musique n’a pas cessé jusqu’à l’aube. Musique aigrelette et lancinante. Je n’ai pas vu de musiciens. On doit passer des disques.
La musique, ici, est accompagnée de voix, ou plutôt c’est la voix qui est accompagnée de sortes de fifres, de tambours, de xylophones et de cithares. Incontestablement, on peut la qualifier de romantique, songer à des psalmodies, à des plaintes, à des litanies, à des prières. Le gong y a sa part.
Et ce soir, cela recommence. Il faut aller y voir, tu ne peux pas rester stupide !
Il fait nuit, nuit noire, très noire. Il continue à faire chaud. Tout est moite. Un seul réverbère. Halo de lumière jaune. Suivre la foule, car il y a foule devant le temple. Elle s’engouffre sous un porche. Grouillements. Je débouche dans une cour et dans la lumière. Gueuloirs. Accrochés dans tous les angles, des haut-parleurs gueulent la musique et les chants. Couleurs. Beaucoup de jaune, jaune primaire, jaune safran, jaune tirant sur le rouge. Robes rayées de vert et d’or. Soies. Peu d’enfants, je ne peux même pas assurer qu’il y en ait...
Des femmes, des hommes. Un arbuste aux branches duquel sont accrochés des billets de banque. Vasques emplies de sable, des baguettes d’encens y sont plantées. File, et chacun à son tour allume une poignée de baguettes, s’incline plusieurs fois, tandis que la fumée bleue, odorante, monte devant l’effigie du Bouddha impassible. Guirlandes dorées ...
Suivre les mouvements de la foule, il n’y a pas moyen de faire autrement. L’impression, un peu, de suivre une lente farandole. Personne ici ne fait attention à ma présence. Sur les côtés, les gens parlent sans s’agiter. Bonzes safranés à l’épaule nue, bonzillons vêtus de même et le crâne rasé. Révérences, fumée des baguettes d’encens que l’on replante ensuite dans la vasque où elles achèvent de se consumer. Suivre les mouvements...
L’impression, parmi ces rites qui me sont étrangers ... L’impression d’un autre monde, auquel je ne comprends rien. Psalmodies dans une langue que je ne comprends pas. Inutile de questionner, on ne me comprendrait pas. Suivre ...
Et puis ... Et puis, dans une cage gillagée posée sur une table ... Un bébé ! Un bébé que l’on prendrait pour un poupon de cellluloïde, joufflu, vêtu d’une layette de laine rose, chaussons aux pieds. On le croirait vivant mais, pas de doute, il est mort ! Il s’agit d’un cadavre de bébé que l’on a lavé et habillé. Il est intact, couché, comme s’il dormait. Où suis-je ? Je regarde les gens autour de moi : ni inquiétude ni surprise, ni horreur ...
Autre mouvement de la foule. Autre bébé, même ahurissement ... Autre monde et les sons, les odeurs, les couleurs, tout se conjugue pour me procurer cette impression de malaise ... Voir pourtant, voir pour tenter de comprendre.
Cinq bébés. et tout à coup ...
La cage est plus grande cette fois : Son occupant est le cadavre, intact lui-aussi, d’un homme adulte. Il est vêtu d’une tenue de combat militaire. Les parties visibles de son corps sont un peu parcheminées, mais à peine ! On a dû le laver lui-aussi et les vêtements sont neufs. Il est chaussé de brodequins, mais on voir que la peau sèche est fendue, au cou du pied. On aperçoit les tendons. C’est la seule preuve qu’il est bien mort et qu’il doit être mort depis longtemps, desséché, momifié en quelque sorte ... Les baguettes d’encens continuent à brûler, les gens à psalmodier, l’aigre musique à hurler, les bonzes à accrocher des billets aux branches , courbettes, saluts, les deux mains jointes ...
Mais enfin, qu’est-ce que cela signifie ?
Et puis à ce moment là, un homme qui se précipite vers moi en criant, qui menace et me prend à partie ...
Mais qu’est-ce que cela signifie donc ?
Une femme qui passait par là porte l’index à sa tempe, montrant par là qu’il ne faut pas que je m’effraie, l’agresseur est un simple d’esprit, un fou ! Fou, oui, peut-être, mais, faute de comprendre et faute de pouvoir me faire expliquer les choses, je m’enfuis. C’est plus sûr !
La musique, derrière ma chambre, continuera toute la nuit. Ce ne sera que le lendemain que l’on pourra me donner les clefs explicatives :
Les camions rencontrés le matin, dont les plateaux étaient remplis d’hommes armés d’outils et couverts de lainages ... Ces camions emmènent chaque matin, depuis une semaine, les volontaires pour déterrer les morts ...Rien de moins ! Dans ce pays on considère que l’âme ne peut se dégager du corps que lorsque ce dernier a subi l’incinération. On va donc, une fois par an, déterrer les cadavres. Ils sont pour beaucoup d’entre eux, désséchés et en parfait état de conservation.
La fête s’achève avec la crémation.
lundi 10 novembre 2008
lundi 19 mai 2008
DIPLOMATIE AU VANUATU
Cette histoire se déroule dans l’île de Malikolo. Vous pouvez aussi l’appeler Malekula, c’est selon votre bon plaisir. L’archipel s’appelle maintenant le Vanuatu, depuis qu’il est indépendant. À l’époque, il s’appelait l’archipel des Nouvelles-Hébrides et il était placé sous le gouvernement conjoint de la Grande Bretagne et de la France. On appelait ça un condominium. De cette formule de gouvernement il y aurait d’ailleurs beaucoup à dire ... et beaucoup à rire, parfois à pleurer;
J’en donnerai juste quelques aperçus car ce n’est point là mon propos d’aujourd’hui.
On peut constater tout d’abord que, les Anglais roulant à gauche, et les Français à droite, pouvaient naître certains problèmes. J’ai connu de vieux planteurs qui n’auraient cédé pour rien au monde lorsqu’ils se trouvaient face à un véhicule venant sur le même côté de la route, mais en sens inverse. On peut imaginer le genre d’apostrophes qu’ils pouvaient s’adresser en ces occasions !
Pour aller vite, on peut raconter aussi l’histoire de la fourrière de Port-Vila, la capitale.
Il faut pour cela noter qu’il n’y avait pas aux Nouvelles-hébrides deux, mais bel et bien trois administrations puisque l’assemblée du Condominium avait aussi son mot à dire : elle réunissait des représentants Anglais, des représentants français et des autochtones.
L’assemblée condominiale, un jour, constatant qu’il y avait de plus en plus de chiens et de chats errants à Port-Vila, décida de la construction d’une fourrière. La fourrière construite ... Qui allait payer le fonctionnement et l’entretien des animaux ?
Après moult palabres, exposé des exigences et des concessions possibles, on décida ... Que les chiens seraient anglais et les chats français ! Et cela fonctionna ainsi !
Il y aurait beaucoup de choses à raconter encore. je vous laisse imaginer, mais peut-être reviendrai-je un jour, sur les “joyeusetés du condominium” !
Pour le moment, c’est de la visite d’un Ministre qu’il s’agit. Une visite à Malikolo. Il s’agit, si mes souvenirs sont bons de Monsieur Bourgès-Maunoury, Ministre de la France d’Outre-mer, sous la Présidence de Charles de Gaulle. C’était dans les années soixante.
Je n’étais pas à Malikolo, mais je résidais dans une île du même archipel et l’un de mes amis résidait, lui, en tant que médecin, dans l’île en question;
Il faut dire quelques mots à propos de ces îles. Îles hautes, volcaniques, aux plages noires, aux terres sombres, aux frondaisons impressionnantes en épaisseur et en hauteur : La forêt primitive dans toute son acception, impénétrable et foisonnante. Il pleut souvent et il fait souvent chaud. Philodendrons, lianes, de rares oiseaux du genre pigeons ou tourterelles et des cochons sauvages.
Quelques rares européens, dans des boutiques où l’on vend de tout. Les autochtones sont des Mélanésiens vivant leurs coutumes et se réunissant le soir ( Seulement les hommes) sur la place du village, (le nakamal) pour boire le kava ( drogue douce ayant des effets oniriques ). Autour du nakamal, des cases de bambou à toit de roseaux.
À Malikolo vivent deux peuples : Sur les rivages, les “Small Nambas” et dans l’intérieur de l’île, les “Big Nambas”. ( je schématise, que l’on me pardonne).
Savez-vous ce que l’on appelle le “namba” ? Eh bien voilà : Les gens des deux peuples vivent nus. Les mâles des deux peuples cachent leur sexe dans un étui attaché autour des reins par des brins de raphia ou de quelque chose qui y ressemble, afin, sans doute, de figurer une érection permanente.
Le reste de la description de cet attribut, on peut le déduire des noms qu’on lui donne :
Les Big Nambas portent un étui pénien qui est beaucoup plus long que celui des Small Nambas !
Orgueil ? Machisme ? Prétention ? J’ai vu des photos, les étuis péniens des Big Nambas sont vraiment impressionnants et peuvent laisser rêveur !
Les Big Nambas sont chez eux. Ils acceptent les gouvernements qui les dominent, mais c’est à leurs conditions :
-” Tu vois, dira le Chef des Big Nambas au Ministre qui leur rend visite. Tu nous promets la construction d’un hôpital. C’est bien, mais tu sais, quand on est dans la pirogue, si on pagaie d’un seul côté, la pirogue ne va pas droit, alors, nous, on pagaie des deux côtés.” Il sous-entendait par là qu’il sollicitait l’aide de la France, mais qu’il ne s’interdisait pas pour autant de solliciter aussi celle des Britanniques. Fierté et sagesse et la pirogue ira bien droit !
Pour aller chez les Big Nambas, il faut demander l’autorisation plusieurs jours à l’avance et respecter les coutumes : On doit envoyer un émissaire chargé de présents : Un coupon de tissu, un paquet de tabac, un billet de banque ...
Les Big Nambas voulaient bien recevoir le Ministre français. Celui- ci allait décorer le Chef des Big Nambas. De quelle décoration s’agissait-il ? _ Il ne m’en souvient guère et, au fond, il importe assez peu. Une décoration avec une médaille et un ruban de couleur, comme toutes les décorations qui s’accrochent à la poitrine des récipiendaires ...
Vous avez parlé de la poitrine ?
Eh bien justement ... Parlons-en ! Monsieur Bourgès-Maunoury, Ministre de la République Française et du Général Charles de Gaulle s’apprêtait à remettre la décoration piquée sur un coussin ...
Mais allez-donc épingler une décoration sur la poitrine d’un homme nu des pieds à la tête, portant pour tout vêtement un orgueilleux étui pénien ! Perpléxité ... O ! Solennité de l’instant !
Je ne sais qui trouva la solution : On passa un collier de ficelle autour du cou de ce Chef et le Ministre accrocha la médaille à la ficelle.
Ce fut après, que le Ministre prononça le plus sérieusement du monde un discours dans lequel il promettait de faire constrire un hôpital. Et ce fut après que le Chef des Big Nambas fit un exposé sur la meilleure façon de pagayer lorsqu’on est dans une pirogue.
Quelques années plus tard, la pirogue devait aller seule, l’archipel étant devenu indépendant sous le nom du Vanuatu.
Le Vanuatu est maintenant une destination touristique. La longueur des étuis péniens est-elle pour quelque chose dans son succès auprès des touristes ? Je suis certain que l’on pourrait répondre par l’affirmative !
samedi 17 mai 2008
LE ROI DU LAOS
C’était en 1973, je crois. Je me trouvais à Vientiane, capitale du Laos.
Poussière rouge recouvrant les maisons et les arbres, odeurs de frangipannier , robes safranées des bonzes et bonzillons, pagodes aux toits d’or, portes sculptées, cyclo-pousses et vieux taxis déglingués. Marché du matin et marché du soir, balanciers de bambou sur l’épaule pour porter les marmites de soupe. Des oies, des poules, des ours enchaînés et , tout au fond, dans l’ombre, les baraques de bois bancales des fumeries d’opium. Le Mékong insane roule ses humeurs jaunes. De l’autre côté, c’est un autre pays, auquel on n’accède pas, mais on voit passer des fantômes sur la rive.
Situation étrange d’un pays en état de guerre. J’habite une ville fermée. J’ignore le pays voisin, auquel nous n’avons pas accès.
Situation étrange d’un pays sur lequel règne un Roi qui réside à Luang Prabang, ville mythique. Mais le pouvoir est à Vientiane où siège un Prince du sang.
Situation étrange d’un pays dont la majeure partie est occupée par les troupes d’un autre prince du sang, aidées par celles des voisins vietnamiens.
À Vientiane, nous avons vu entrer, silencieux, les soldats du Pathet Lao, inquiétants. Ils sont allés dans leurs casernes et on ne les a revus que lorsque l’un d’entre eux, en mobylette, allait faire ses courses en ville.
Étrange situation figée, incompréhensible : Les troupes ennemies sont en présence dans la même ville. Rien ne bouge. Dans le pays voisin, Phnom-Pen va bientôt tomber, chacun le sait. La danse de Shiva le destructeur va bientôt commencer.
Un matin, passant vers le centre ville ... Un piédestal. Il n’était pas là hier encore. Un piédestal, et rien dessus ... Le ciment n’est pas sec encore.
C’est curieux : les nations à l’avenir incertain sont celles qui édifient le plus de monuments : Tout en haut de l’avenue Lan Xang s’élève un arc de triomphe monumental, décoré d’apsaras et de têtes d’éléphants.
Le laos est le Royaume des cent millions d’éléphants ! Vous avez dit Royaume ! Pour combien de temps ? C’est sans doute cette incertitude qui pousse à l’édification, là, d’une statue ...
Le lendemain, je repasse au même endroit. Le piédestal doit avoir séché suffisamment : On a posé quelque chose dessus. Quelque chose, mais je ne peux deviner quoi car un voile le recouvre. Ce n’est pas très haut, ce n’est pas énorme ... En tout cas, ce ne peut pas être une statue ...
Je retourne voir ce qui s’est passé le jour suivant. Rien n’a changé ... Un voile cache toujours les choses. Deux policiers veillent. Les passants sont indifférents ... Sans doute en ont-ils vu d’autres !
Et puis un jour, le voile s’est soulevé : Le vent, sans doute. Les deux policiers sont toujours là. Ou leur relève très probablement.
Alors je vois ! Je vois, en bronze, une énorme paire de chaussures ! Seules, les chaussures sont là. Il n’est pas possible que l’on ait élevé un monument pour une paire de “tatanes”, si belles soient-elles ! Mais elles sont vraiment très grandes, très bien faites aussi. Une paire de chaussures montantes, solides, faites pour la marche. Alors je comprends : C’est bien une statue qu’on va élever là. Dans les pays de l’Asie du sud-est on coule beaucoup de bronze. On élève beaucoup de statues. Elles représentent des soldats, des chefs, censés symboliser l’unité de peuples qui n’en ont guère. Mais des godasses !
Puis les chaussures ont disparu pendant quelques jours et le piédestal est resté vide. Qu’allait-on vraiment faire ici ? Il m’en souvient ... C’était réellement de très grandes chaussures ... Pour quel géant ?
La fois suivante, vous en souvenez-vous très chère, vous étiez avec moi. La statue entière était sur son socle. Elle était voilée des pieds à la tête. Elle était grande, grande ... Voilée des pieds à la tête, ou de la tete aux pieds, comme vous voudrez, cachée derrière le drapeau du pays aux cent millions d’éléphants ... Mais le voile cachait mal les chaussures ... Sacrés godillots ! Énormes.
Enfin, le jour de l’inauguration, nous avons compris : La statue, fort bien réalisée d’ailleurs, n’avait pas été coulée dans la même fonderie que les chaussures. Qui avait fait l’erreur ? Je ne sais, mais l’une des deux fonderies n’avait pas respecté les proportions imposées par les artistes. Ah ! Pour ça, il avait des tatanes, le Roi du Laos !... Car c’était bien du Roi qu’il s’agissait. On avait ajusté les chaussures au reste du corps et ... Celà faisait un Roi Patagon ( Car chacun sait que la Patagonie est le pays des grands pieds. ) Lorsque le voile tomba, Au moment où jouait la musique des khens ... Nul ne broncha. Chacun regardait le bout de ses propres chaussures;
Mais le soir même, la statue avait été enlevée, corps et chaussures !
On ne l’a jamais revue car quelques jours plus tard, le Roi du Laos était destitué et Le Prince rouge prenait le pouvoir.
Il y a, quelque part dans les environs de Vientiane sans doute, une paire de chaussures à récupérer, mais on ne peut guère envisager d’en chausser la statue de Napoléon : Le Petit Caporal était bien trop petit !
mardi 8 avril 2008
CHEZ PABLO NERUDA
(Place d'armes, Santiago : monument aux peuples anciens)
“Mon cœur est un cerf-volant . Quand vous êtes venue, il s’est envolé.”
C’est la vie !
La jeune femme qui me servait de guide était charmante. Ayant vécu à paris, elle parlait un excellent Français... Un sourire !
“Mon cœur est un cerf-volant. Ah ! Coupez donc cette ficelle qui le retient !” Bondira-t-il ?
Il va retomber ! “
La maison de Pablo Neruda, à Santiago, s’appelle “La Chascona”. J’ai appris aujourd’hui que cela signifie “l’ébouriffée” ... Matilde, l’ébouriffée.
Aujourd’hui, je suis allé à Isla Negra, qui n’est pas une île et qui n’a rien de noir, ni même de sombre. “Isla Negra”, c’est un mot, juste un mot. je dois dire tout de suite que je suis heureux de cette visite. J’aurais conservé pour le restant de mes jours le regret de ne pas être allé là-bas ! Ah ! lisez donc le Mémorial de l’Île Noire !
La Nuit à l’Île Noire
“Une très vieille nuit et un sel en désordre
cognent contre les murs de ma maison :
l’ombre est seule et le ciel
est maintenant un battement de l’océan,
ciel et ombre
éclatent avec un fracas de combat démesuré :
toute la nuit ils luttent ...”
Cent vingt kilomètres de Santiago. Vous quittez la ville, vous traversez la plaine de Toulouse, sèche. Vous traversez les plateaux du Lauraguais ( à vrai dire, il y a moins de cailloux, mais c’est tout aussi désert ! ). Collines de la cordillère littorale, usées, arrondies, sèches. Vous approchez de l’océan ... Et vous pouvez imaginer que vous êtes quelque part dans les Alpilles. Vous débouchez enfin sur un paysage des Landes, très abîmé comme il y en a chez nous : clôtures de guingois, baraques de marchands de frites, vides à cette saison, terrains de camping désolants, panneaux publicitaires immenses ( Ah ! Coca Cola ! ). Tout cela attend le peuplement par les vacanciers. Il y a là toutes les formes de mauvais goût que l’on peut trouver chez nous.
Terres pelées, sèches. Une plage ... De sable noir (Vous voyez bien, qu’il y a quelque chose de noir !), autour de laquelle sont bâties des maisons de bois qui auraient besoin d’être repeintes. Bougainvillées, jacarandas en fleurs, bleus. Géraniums, ficus ...
Face à la maison de Pablo Neruda, des hurluberlus ( des “artistes contemporains” , aurait dit quelqu’un de bien connu chez nous !), des hurluberlus ont badigeonné je ne sais quoi sur les rochers, dans la mer, à grands jets de bombes à peinture. Un “buste” du poète, informe, a été cimenté sur un rocher. Comment a-t-on pu laisser là cette horreur ?
Mais aujourd’hui, j’ai décidé d’être heureux : Plus de critiques donc ! Parlons de la maison de Pablo Neruda. C’est pour elle que je suis venu ... Enfin, pour lui ! Elle a été bâtie par morceaux, successifs et disparates, juxtaposés, un peu comme la “Chascona”, l’autre maison, de santiago. On est en train de lui ajouter une extension pour y loger la collection de coquillages, qui n’a pas trouvé sa place encore.
-”Mais cette extension avait été prévue par Neruda.”
Savez-vous que la plupart de ces coquillages ont été achetés aux “puces” de Clignancourt !
La visite se déroule au galop. Peu de temps pour s’imprégner de quoi que ce soit. Peu de temps pour rêver. Vous pourriez croire que, si l’on vous bouscule, c’est parce que la visite d’un Ministre, à tout le moins, est annoncée . Mais non ! Il paraît que c’est toujours ainsi. J’ai bien essayé de protester, de traîner un peu, mais on m’a regardé soupçonneusement.
On pourrait fort bien se représenter une maison de Saint-Trojan-les Bains (Oléron, Charente Maritime )
Plafonds de bois, en forme de carène de bateau renversée. Accumulations ... Accumulations de figures de proue, de maquettes de bateaux, de verres colorés, de bouteilles, d’instruments et d’objets bizarres. Il y a une vaste pièce avec une vaste cheminée. Les murs de cette pièce sont couverts de rocaille brute et de lapis-lazuli. Corne de narval ( la licorne de mer), un cheval naturalisé, debout sur ses quatre jambes. Un vrai cheval, à robe dorée. Les amis de Pablo ont offert les harnais et autres accessoires ... sans se concerter, ce qui fait que le cheval a trois queues, dont une noire ! Étriers, selle, mors ...
_”Mais comment entretenir une maison pareille pour que ne s’accumule pas la poussière ?
-” Je pense que, tout simplement, Neruda n’était pas obnubilé par la poussière ! “
Vue superbe. ( Attention, Michel, tu fais dans les superlatifs ! ) Vue superbe sur l’Océan Pacifique. Rouleaux puissants, odeurs de varechs. Pablo et Matilde reposent dans le jardin : mort à la “Chascona”, le poète aura attendu pendant vingt ans le transfert de ses cendres à Isla Negra ...
Je suis heureux d’être venu là. Mais le poisson-girouette qui sert d’emblème, tournant à l’intérieur de l’astrolabe, sur le toit de la maison, conserve-t-il le symbole de l’Esprit ?
Il faut craindre qu’une fois de plus, un crime ne soit en train de se commettre ici. Crime de “marchands de frites” ! Malgré tout, de ma visite, me voici revenu un peu plus riche, un peu plus capable de comprendre.
Pour le retour, nous avons pris une autre route. La “plaine de toulouse” était un peu plus verte cette fois, avec quelques vignes, quelques champs de maïs. Il n’en reste pas moins que ces vastes étendues sont vides ou brûlées. Les terres appartiennent à de gros propriétaires, elles ne sont pas cultivées parce que les salaires des ouvriers agricoles sont bas, très bas. On se presse dans les faubourgs de Santiago, et la campagne est vide !
Route de l’aéroport. Des kilomètres et des kilomètres de terrains de foot, déserts à cette heure, et pelés, décapés, terre rouge. Combien de terrains de foot ?
Le chauffeur du taxi qui m’emmène, et qui baragouine un peu en Anglais, connaît le nom de Michel Platini.
Gare centrale : architecture métallique du début du vingtième siècle, importée directement de france. Sur les bas-côté, fleurs bleues de chicorée sauvage;
Et, tout à coup la merveille de la floraison d’un jacaranda !
jeudi 27 mars 2008
AU CAP HORN
Embarquement sur le ‘ Terra Australis ...
Amusante, la faune qui peuple ce bateau : Hormis un couple de jeunes mariés, les passagers appartiennent plutôt à la catégorie des “carte vermeille”. Sympathiques, tous ... Une centaine de passagers. Une dizaine de nationalités. Comme par hasard, les Français se sont retrouvés tous à la même table, dans la salle à manger. Ils sont sept, avec moi, venant de Rio, du Venezuela, de Suisse, de paris. Moi, je viens de Tahiti.
J’ai sympathisé avec un couple : lui est Breton, elle est Israélienne de souche Yéménite. Ils parcourent le monde à tarif réduit car l’homme a travaillé pour Air-France. Pour l’heure, ils arrivent du Viêt-nam en passant par l’Argentine.
Un peu tendance à “tout savoir”, lui, mais bah!
Amusante, la présentation de l’équipage, dans le grand salon. Dispersion après le dîner, pour animer la soirée dansante au salon supérieur.
Que ne faut-il pas faire quand on est marin sur un bateau de croisière ! On doit même savoir danser la “danse des pingouins ! Et peut-être même que certains s’y amusent, mais ... semaine après semaine, et tout au long de l’année !
Au bar, les consommations sont gratuites. L’ancien d’Air-France y soigne son “mal de gorge”. Forte posologie ! Il repart de bonne heure. Moi aussi, du reste.
La mer est très calme. À tribord, (ça vous fait navigateur, ces mots-là !) À tribord, on voit très bien la côte.
( Attention aux mots ... aux adjectifs surtout, parce que les paysages risquent de rester semblables à ceux que l’on voit en ce moment, dans e genre minéral et spectaculaire ... Surtout quand ils ont longtemps investis du mythe.)
Nous filons à bonne allure. Quelques gros oiseaux. Pour le moment, c’est tout en ce qui concerne le règne animal.
Toi qui commences cette croisière, tu es venu pour la Merveille. D’autres sont là pour s’amuser, leur nuit sera courte ! Ils dansent, et c’est bien ainsi. Mais la force du mythe ... On est au Bout du Monde !
Un phare ... Deux ou trois lumières dans la nuit. Mer calme. Ronronnement des moteurs, très doux. Cabine claire, spacieuse. Au petit matin, découverte des montagnes, chutant droit dans la mer. Crêtes enneigées par traînées, ou bien, par une échancrure, tout un versant blanc qui vient à moi. Formes acérées. Quelques gros oiseaux se laissent emporter par le courant du chenal. ici, Joshua Slocum a tiré des bords, infiniment, ans réussir à passer. Joshua !
Falaises gercées. Des arbres à leur pied. Aux pentes abruptes la végétation est rousse, comme un tissu de suédine. Ciel couvert. Il va pleuvoir ? Couleur d’étain. Couleur de plomb.
Un glacier, plaqué sur la roche. Bleu translucide dans les crevasses ... Beau ... Pourquoi “beau” ?
Splendide ! ( Le spectacle vaut certainement mieux que cet adjectif, galvaudé, mais c’est celui-là qui est venu. Allez donc en trouver un meilleur ! C’est splendide ! )
Je voudrais qu’Elle soit avec moi. Comment dire ? On pense aux fjords de Norvège ( que je n’ai jamais vus qu’en images ) des glaçons dérivent comme des cygnes, ( La grâce, la lenteur, le silence, l’indifférence ...);
Des deux côtés du bateau, ( Allez, vas-y : à “tribord” et à”babord” !) les falaises tombent à pic. Buissons, arbres verts au raz de l’eau, arbres morts en grands échalas blancs, perches. neige sur les hauts. Face à moi le glacier. Il tombe à pic lui-aussi. Su-perbe ! gercé, fracturé, large, majestueux ( Arrête ! Arrête ! )
La roche grise, râpeuse, dégouline de cascades. Si je ne voyais que cet unique spectacle, le voyage en aurait valu la peine déjà. Ciel couvert, toujours, mais il ne pleut pas. Nous avons de la chance. La glace étincelle de lumière.
Mer verte, lisse. (mais est-ce vraiment la mer ? )
Ocres rouges, en griffures verticales ).
Passagers emmitouflés. Photos ! Nous sommes au glacier de Videla. demi-tour pour un débarquement au fond du fjord Agostini, mais auparavant, exercice de sécurité , évacuation ... Frisson d’émotion !
-”À vingt heures, ce soir, nous passerons le canal “Ocasion”. Ce sera l’endroit le plus étroit, le plus dangereux.
Rugissement. Oui, rugissement du glacier, comme un coup de tonnerre qui se prolongerait. Rien n’a bougé. Que se passe-t-il sous la croûte de l’impassible glacier ? Quelles forces en jeu ? ... Impressionnant !
Mise à l’eau des canots pneumatiques. Ceux qui le désirent vont aller faire quelques pas à terre, sur une petite plage de sable noir, tout près du front du glacier. Hardis aventuriers, dans leurs gilets de sauvetage couleur d’orange !
Vingt deux heures trente ... Canal “Ocasion”. L’endroit est mal pavé ! Longue houle d’abord, et puis il faut passer entre des îlots très proches les uns des autres. Balises à terre. Bouée. Mais le feu que la carte indique n’est pas allumé. Pas de vie. Aucune. Qui viendrait nous chercher là s’il nous arrivait quelque chose ? Cap au sud. Demain, nous serons à Puerto-Williams, mille cinquante habitants ...
Le passager français qui vient de Rio est un diplomate. Ambassadeur ? Consul ? C’est un homme posé. Posé pour deux : sa femme est montée sur ressorts et débite comme une boîte à musique. Elle est originaire de l’île de Ré, qu’elle appelle “l’île dorée”.
J’interroge cette terre, cette roche. Mais elles ne me répondent pas. Îles, îlots, steppes, pics et glaciers, pentes buissonneuses râpées ou arborées ... Bras de mer, défilés. Le ciel non plus, vide et plombé, ne répond pas. Les chansons du passé, seules, témoignent. Claquements de voiles grincements de guindeaux et de poulies , halètement des treuils; coups de gueule des boscos ... Le vent, qui coupe. La pluie qui glace. Le temps, infini ...
Dans mon village, en Oléron, au fond du cimetière, on peut voit la tombe d’un commandant. Je l’ai connu. Un ancien cap-hornier ! L’un des derniers ! Un albatros en bronze couvre la dalle de ses ailes.
Croix de bois, aperçue au musée de Punta Arenas, gravée au couteau d’une supplique priant les marins de passage de bien vouloir assurer l’entretien de la croix, sur la tombe de ce capitaine “qui mourut de désespérance” ...
Aujourd'hui la nuée se déchire. Illumination de la neige sur les pentes. Plaintes des Fuégiens. Les Onas, les Alakalufes, les Yaghans dont les tenanciers des estancias à moutons payaient les paires d’oreilles, liées en chapelets ...
Plaintes et cris de ces peuples disparus qui s’enduisaient de graisse, nus, pour résister au froid, errant de baie en baie, chassant le phoque, pêchant les moules. Hommes, femmes et enfants exterminés, tout, comme on tue les chèvres sauvages. O ! La barque d’écorce de bouleau .. .Au Musée ... Vide !
Nous sommes entrés dans le canal de Beagle. Mer calme, calme comme un lac. Toujours les falaises, couronnées de neige et de glaces. Cascades , eaux d’un gris argenté. Flancs des montagnes veloutés, d’un vert très sombre, griffé de roux.
Aujourd’hui, un autre petit paquebot de croisière nous a doublés. Nous allons vers Ushuaia, attendant au petit salon que vienne l’heure du petit-déjeuner.
O ! Mes chansons de marins !
Ce canal a, tout à la fois, la splendeur des fjords de Norvège et celle de la baie d’Along. C’est par là que sont passés autrefois les gueux affamés, les chercheurs d’or de la grande Ruée californienne. Par là sont passés les découvreurs, mais aussi tous ces marins des trois ou quatre-mâts qui emportaient dans leurs flancs et sur leurs ponts tous les émigrants partis peupler l’Amérique de leurs rêves.
Nous ne verrons pas une baleine, pas un phoque. Y e a-t-il encore ? Il n’y avait, ce matin, pas même un oiseau !
Un autre imaginaire se superpose au mien.
-”Quand j’étais petite, me dit la Canadienne, au moment où nous passons devant un glacier ( pourquoi nommé Garibaldi ? ) Je rêvais aux contes de Grimm : à La “Fée des Glaces” !
Un oiseau ... Un oiseau s’incline sur l’aile droite et frôle la surface de l’eau. Tout à l’heure il y avait un petit voilier au mouillage, dans une crique. Joshua Slocum ou son esprit errant !
Rêve parfait, mer bleue, enfin ! Soleil brillant qui couvre d’étincelles mouvantes les vagues, les nuages, les sommets, les glaces et les neiges.
Sensation de glisser entre ciel et mer, sur un tapis volant silencieux, à toute petite vitesse, entre les montagnes-monstres.
Comment dire sans tomber encore dans les clichés ? ... C’est beau ! Dieu que c’est beau !
*
- “J’ai bien entendu. Elle m’a dit d’y aller ! J’irai.
J’ai hésité, bien sûr, à cause du prix ... J’ai hésité, mais je L’ai entendue :
“Vas-y!”
J’ai pris une place dans le twin-oter, à partir de Puerto-Williams, cet après-midi. Il fait si beau ! Nous irons au Cap Horn.
-”Au Cap Horn ! Tu te rends compte !”
Et si, disant que je l’entends me pousser, je ne cherchais que des raisons ?
“Vas-y, te dis-je !”
Pour l’instant, le navire range Ushuaia sur bâbord. Ushuaia ! Ville au nom magique, construite en amphithéâtre aux flancs des monts. Eaux calmes de la baie bleue. Prairies. Nous reviendrons ...
*
La ville la plus australe du monde ? - Eh ! non, ce n’est pas Ushuaia, bien qu’elle y prétende. Elle est Chilienne. Un millier d‘habitants. Maisons préfabriquées aux toits de métal bleu. Tas de bûches pour l’hiver, fendues. Cinq ou six échoppes dans lesquelles on vend ... Quoi ? ... Des femmes font la queue pour acheter des saucisses nouvellement arrivées, pour le réveillon de Noël !
La moitié des habitations sont occupées par des familles de marins de “l’Armada du Chili”. Un vieux rafiot militaire appareille sous nos yeux. Salut à coups de corne. Envoi du drapeau national. Autre rafiot le long du quai, datant des ancêtres d’Hérode ... solidement tenu par quatre chaînes. Canons. troisième navire. Celui- là repose sur fond de vase. A son côté un petit voilier français au mouillage, un ketch gréé à l’ancienne.
Il faut ramasser un caillou au bord du chemin, un caillou commun, dur, lisse,noir, luisant. Que pourrait-on ramener d’autre, de Puerto Williams ?
Des enfants jouent au football sur le terre-plein du monument “Au Fondateur” ... Le Général Bernardo O’Higgins.
Oh ! je sais, il y a encore une agglomération, chilienne, encore plus au sud : Puerto-Toro ! Nous irons à Puerto Toro, mais combien d’âmes, là-bas? Des bricoleurs bien intentionnés y ont construits des balançoires en bois, pour leurs enfants !
Mais j’ai vu le Cap Horn. J’en suis heureux. Le pilote nous a fait virevolter au-dessus des phares. Mer calme ce jour-là, mais les roches, cependant, apparaissent frangées d’écume.
Paysage de Bout-du-Monde. Îles et lagunes, labyrinthes de bras et de canaux, roches, arbres morts. Paysage de Fin du Monde !
En vain j’ai cherché les baleines espérées. Je n’ai aperçu, au loin, qu’un seul navire, non identifiable. Double sillage blanc parmi les roches.
Plus loin, plus au sud, il ne reste que l’Antarctique. Mais ... Cela va vous décevoir peut-être ... Il faut se rendre à l’évidence ... Le Cap Horn n’est pas un Cap ! Juste un rocher, comme un ongle dressé, une griffe. Une île, une petite île.
Un phare et une maison pour les gardiens. On y aperçoit aussi un monument commémoratif ... Inévitable ! On l’attendait !
-”Le Cap Horn, j’y suis allé !”
C’est bête, hein ? Je suis allé au Bout du Monde !
lundi 24 mars 2008
LA SOUFRIÈRE DE LA GUADELOUPE
Orange rouge jaune violet
Bougainvillées tôles rouillées toits de guingois
Jaillissement des palmiers au soleil-Roi
Indigo mer
vibrations d’argent souvenirs de galions et d’or de voiles et de claquements de tonnerre
Trois tours de béton
étals de fruits-pays sous la halle de fer
tissus fleuris au kilomètre enroulés déroulés
et l’air sent la bagasse douceâtre les moulins ont perdu leurs ailes depuis longtemps pour autant qu’ils en aient eues un jour! Les moulins à sucre de pierres taillées coiffés de feuillages et les cases de bois en troupes montant bariolées aux flancs des mornes
En bas s’étirent les Grands Fonds des Matignon
Entre les deux Mamelles montagnes sur l’immense écran bleu lavande toute la forêt-mère de feuilles
de branches
de palmes
de fleurs
Troncs et l’arbre a pour nom gommier
bois-côtelette
bois-bander
Que sais-je encore ? Piliers jaillis de l’humide et pourvus de racines apparentes tortueuses millions de serpents immobiles entremêlés anacondas et pythons cordes nœuds et rubans
Les arbres les plus grands sont pourvus de renforts comme murs de cathédrales
Grimace tout à coup tout un peuple de gargouilles épiphytes aux branches suspendues fougères aux longues feuilles luisantes
Sous-bois de gouttes d’eau et de bâtons épineux
Inquiétantes muqueuses fleurs et bâtons épineux l’argile rouge colle à la semelle Odeur d’humus et de mort
Oreilles d’éléphants et autres feuilles géantes lucioles toute la nuit et l’orchestre doux de cascades
de grillons
de graviers
d’oiseaux inconnus aux trois notes
de l’accord parfait
GROS-KA ! quelque part là-bas
battu au rythme du pouls de la Vie
partout ces yeux ces cris
à qui sont-ils ?
D’où venues ces flammes dans les cannes courant à Noël passé
annonçant la coupe et la course des chiens chassant les mangoustes
et les Titi-racoon sous les feuilles longues aiguës comme des sabres ?
*
Un grand homme Maire et Président
géant les bras levés
les joues luisantes de sueur
applaudi par une foule superbe
Des fonctionnaires prennent des notes et parlant à voix basses
On dit que le volcan hier s’est encore ébroué
Les savants ne sont pas d’accord mais la terre a tremblé
Sous des centaines de tentes verdâtres militaires on fait l’école et ça sent mauvais la toile chauffée
On a beau rouler les bords il fait trop chaud
Football pourtant aux terrasses fraîchement écorchées par les bulls jaune-orange et autre engins
Un homme vocifère juché sur un fût de pétrole
invectives incantations il s’en prend à la France pas moins
“Qui nous a pressurisés”
“Allons-nous longtemps rester des esclaves ?”
Attendant le bon vouloir du volcan de la Soufrière souvenons-nous de la Montagne Pelée mille neuf cent deux
vingt six mille morts un seul rescapé dans un cul de basse fosse
La mer Morte Sodome et Gomorrhe
La Basse-Terre évacuée c’est encore un coup de la
politique d’oppression
Les foules sont logées dans les écoles de la Grande-Terre on porte la soupe et le pain et des armoires ont été dressées entre les lits de camp
milliers de gens, milliers d’enfants poussant du pied des boîtes de conserve vides ou des ballons
Radios gueulant biguines serré-collé
Avez-vous vu mes gosses ? où sont-ils partis ?
Au soleil violences sourdes couvées la nuit
au petit matin éclatent couleurs et formes foisonnantes élancements et odeurs d’alcools de décollage
piments et fruits corail hirsute coupant crabes de terre et de mer langoustes cuirasses de guerre hallebardes poignards surcots de satin ou de brocart
médailles plaques ferrets émaux cabochons sable blond
coquilles mangroves à palétuviers-pieds-tors
héron noir héron blanc et le poisson -qui-grimpe-aux-branches
hibiscus rose-porcelaine simple ou double pervenche mille épées mille éclats bougainvillées
Basse-Terre la plus haute bien sûr
la plus humide
la plus verte
Maisons et baraques vides clopin-clopant posées sur quatre pierres de guingois parois ornées ou plaquées de fer-blanc de boîtes à biscuits découpées aplaties clouées
Grandes cases a toits multiples
balustres
jardins
bassins
fentes des persiennes
jet d’eau des chutes du Carbet
dans les bananiers l’allée des palmiers royaux trente mètres de haut et les cyclones !
La ville elle-même vide ses forteresses d’un autre âge et son port
rues tracées au cordeau et la Préfecture est vide aussi
la police assure la sécurité des biens
la Soufrière va-t-elle éclater ?
Mais c’est Pointe-à-Pitre capitale qui oppose son gargouillement et Petit-Bourg
Baie-Mahault
Sainte Rose et sa fontaine ornée de chérubins peints en vert-épinard on n’a pas encore évacué la Mairie hors de la zone de danger
Ailleurs à Vieux-Habitants à Gourberre et Trois-Rivières on a lâché le bétail dans la nature les vaches meuglent les pis trop gonflés
*
-” N’y va pas m’avait dit la Créole assise sur son mur écroulé du côté de La Rochelle
grande famille de colons ruinés
N’y va pas ma maison à Trois-Rières est termitée
Ma maison aux balustres de bois dans le parc il y a encore les bassins pour faire bouillir la mélasse
C’est trop tard !
Si tu savais autrefois !”
Mais cet homme au chapeau-nimbe couleur de paille
bras levés devant le ciel bleu
juché sur son fût vide au Morne-Rouge
incantations et tout cet or sur la mer
Quel bonheur d’être venu quand même !
samedi 22 mars 2008
UN HOMME
Un frangipanier sans fleurs et sans feuilles tend ses branches comme un squelette noirci. Un palmier et la terre jaune, jaune ...
Une maison en bois, un peu sévère peut-être, couverte de tuiles d’asphalte vertes. Une grosse voiture tous terrains, garée sous l’avant-toit.
Dans le fond, au-dessus des toits rouillés et des eucalyptus, on aperçoit le Mékong, rouge.
Quelqu’un crie, comme le Diable vouant un damné aux Enfers : injures, insultes, menaces, Quelqu’un de très en colère.
Trois personnes courent autour de la maison : Un homme bedonnant, le torse nu, déhanché parce qu’il a une jambe raide. Lui, il se tait, et il court comme il peut, en sautillant. Une femme le suit. C’est elle qui crie et qui l’invective. Elle peut avoir quarante cinq ans. Elle a du mal à courir : Elle a une jambe de bois du côté droit. Elle est furibonde. Elle brandit un pistolet. Le troisième est un homme dont les cheveux bouclés grisonnent un peu. Il est sec comme un sarment. Il tente visiblement de calmer le jeu.
Le premier, celui qui essaie de fuir, on l’appelle couramment “Gros Loulou”. Il est orthopédiste, au service de l’Organisation Mondiale de la Santé. La femme est sa compagne. Elle a effectivement une jambe coupée que remplace une prothèse. On l’appelle “la Mère Kiki”.
La scène est loufoque ? - Je ne l’invente pas. Personne ne pourrait inventer une scène pareille ! Nous sommes au Laos, aux environs de Vientiane, dans les années soixante dix.
Le troisième personnage, qui court lui-aussi, et qui essaie de ramener les autres à la raison, c’est un prêtre. Oui, un prêtre. Il est mon ami, et il s’appelle Jean Brix. C’est un Lorrain, de Nancy.
*
J’ai failli écrire que ce troisième personnage était un curé. Il n’a rien d’un curé, ni la soutane, bien sûr, ni l’onctuosité, mais c’est un prêtre !
Lorsque je pense à lui, quelques pauvres anecdotes reviennent à ma mémoire. Il est mort depuis plusieurs années. Il me manque.
La dernière image que j’ai eue de lui ? Il apparaissait sur mon écran de télévision, au centre d’un groupe de Hmongs, ces montagnards laotiens qu’il avait contribué à mettre à l’abri en Guyane et qui y ont si bien réussi. Il parlait couramment leur langue.
Lui ai-je écrit à ce moment-là ?
_ Mais à quelle adresse ?
-”Il est mort dans un monastère de Vannes,où il avait été évacué. Il est mort d’un cancer des os ...
-”Tu sais, c’est dur !” disait-il.
Il a beaucoup souffert.
Jean Brix vouait un culte à “l’Ange au Sourire”, de la cathédrale de Nancy. Son image était la seule qui fût fixée sur un mur de sa chambre.
-”Il n’est pas possible que le message du Christ ait échoué ainsi ! Il sera repris en d’autres pays, puisque les nôtres n’ont pas voulu l’entendre, et il refera le tour de la terre ! “
C’est à peu près la seule fois où j’ai entendu Jean Brix me parler de religion.
Deux ou trois fois, il nous est arrivé de le trouver titubant :
-” Père, depuis combien de temps n’avez-vous pas mangé ? “
Il saisissait le pain qu’on lui offrait entre ses doigts écrasés : Souvenir de la Gestapo, dans la région de Fontainebleau.
J’ai dit “un homme”, j’ai hésité à écrire “un saint”, mais il ne l’aurait pas voulu. Il est certainement l’être qui a le plus marqué mon existence.
-” Vous savez, m’avait-il dit, je me suis fait prendre une fois par les Nazis, je ne me ferai pas prendre par les Vietnamiens. Je connais trop les limites de la douleur !”
J’étais heureux de l’avoir repéré en Guyane. Il y avait bien deux ans que je l’avais quitté à Vientiane. Ainsi, il avait réussi à regrouper les Hmongs et à gagner une zone de sécurité. Il poursuivait son œuvre.
Au Laos, il avait fondé une coopérative d’artisans ébénistes :
-”Avant de leur porter l’Évangile, il faut bien que je leur donne des moyens de vivre !”
Ses compagnons étaient de prodigieux artisans. Il m’a suffi de leur montrer une photo sur un catalogue pour qu’ils se montrent capables de réaliser tous les meubles qui sont encore chez moi.
Il y a eu quelques surprises, bien sûr ! ... Je leur avais donné la photo d’une commode Louis XV à trois tiroirs, devant galbé comme il se doit, Le Père étant absent pendant qu’ils réalisaient leur travail, il s’appliquèrent tant que le derrière du meuble était aussi galbé que le devant ! Pas très pratique pour ranger la commode le long d’un mur, mais cette paire de commodes ( car il y en a une paire ! ), j’y tiens plus qu’à toute autre chose !
Bois de rose, bois de violette, palissandre ... Je ne sais comment ils se les procuraient malgré l’insécurité qui régnait dans le pays ... Quant à nous, nous étions consignés dans la ville et Thadeua, le lieu de vie du Père Brix, était la limite extrême de nos promenades.
Il ne m’appartient pas de parler de sainteté. Où donc et comment en irais-je peser les critères ? Je parle d’un homme, et j’ai plaisir à parler de lui. Lorsque j’ai quitté Vientiane, il vint me saluer à l’aéroport. Je sais que nous avions, entre nous, conservé l’habitude du vouvoiement, en signe de grande amitié :
-” Et ne croyez pas que je fais la route de Thadeua pour tous ceux qui s’en vont !”
J’en suis persuadé. J’en ai retenu le prix, même si je me demande si j’en étais digne.
Le dimanche, parfois, nous allions suivre la messe qu’il disait dans une petite pièce de sa maison. Il st vrai que sa messe était rapide, mais était-ce un péché, et le Père Gaucher des “Lettres de Mon Moulin” ne fut-il pas absout malgré son élixir ? Croyez-vous que le Curé des “Trois Messes Basses” fut irrémédiablement condamné aux Enfers pour avoir trop aimé la dinde farcie ?
La Messe était vite dite, mais pas expédiée pour autant. Un whisky la clôturait, lorsque nous étions redescendus au rez-de-chaussée !
J’ai connu un autre prêtre, au Maroc, qui levait son verre en disant : “Allez, père Bon Dieu, tu me pardonneras bien encore celui-là ! “ Il est vrai que c’est une autre histoire : Il s’agissait d’un aumônier de la Marine qui avait été brancardier pendant la guerre de Quatorze et trépané sept fois à la suite de ses blessures ! ... Ajoutons tout de même à propos de celui-là qu’il s’appelait ... l’Abbé Souris !
-” Eh non ! Ce n’est pas moi qui ai fabriqué la Jouvence ! Le jour où j’en fabriquerai une, ce sera pour les hommes, pas pour les femmes ! “ ... Allez comprendre !
Dès que la messe était dite, donc, et dès que le whisky avait été bu, le Père Brix nous emmenait visiter ses ateliers. Plates-formes de ciment, un hangar couvert de tôles, une dégauchisseuse, une raboteuse, un tour ... Je crois bien que c’était tout. Ah si ! Il y avait une fraiseuse que Jean Brix était allé chercher lui-même en France au prix de je ne sais quelle débrouillardise et il y avait une scie à ruban et une scie circulaire.
Pendant un temps on parla de fabriquer des manches à balais. Il avait trouvé, paraît-il, un débouché quelque part ... Des manches à balais ! ... Après tout pourquoi pas ? _ Il paraît que cela se fabrique avec d’énormes taille-crayons ! Je n’ai pas eu le temps de voir ces machines en place.
En ce qui concerne mes meubles, nous avions vu peu grand : Le buffet est immense, je ne sais si nous pourrons vraiment le garder chez nous. La table ronde est vraiment lourde ... Mais Dieu que j’aurai de peine si je devais m’en séparer ! ... J’ai vu les artisans tailler leurs outils dans l’acier des lames de ressorts de camions, les affûter ... Y a-t-il un prix pour ce travail ?
Y a-t-il un prix pour l’étuvage de ces bois qui n’étaient pas secs, pour ces moulures et pour ces sculpteurs qui furent exécutées par des hommes accroupis, travaillant à genoux, à même la dalle de ciment !
-” Mais si les Viets arrivent au Laos, non, ils ne me trouveront pas là ! Je sais ce qu’est la souffrance !”
Le Père Brix avait vécu pendant vingt ans au Vietnam.
-”Un jour, je me suis trouvé coincé en haut d’un piton, parmi un groupe de montagnards “Khâ”, opposés aux “Viet” Les “Viet” occupaient tout le tour du piton. Mes compagnons avaient un mortier de quatre vingts, mais il ne savaient pas s’en servir ... Je l’avais appris, moi, mais vous ne voyez pas un “curé” canarder à cous de mortier ? ... J’ai cependant regardé mes doigts, déjà écrasés par la Gestapo ...
Je n’ai pas tiré, non, je n’ai pas tiré moi-même mais, croyez-moi, j’ai expliqué aux “Khâ” comment il fallait s’y prendre ! Dieu nous a aidés.
Je l’ai vu souffrir pour les autres beaucoup plus que pour lui; je ne l’ai jamais entendu pontifier ni décider du Bien et du Mal.
-” Vous me dites que vous avez fait ceci. Et qui vous dit que ce n’était pas, exactement, ce qu’il fallait faire ? “
Et puis ... Et puis il y a quelques histoires dont j’ai conservé le souvenir, et qui font partie de la légende qu’il est pour moi devenu ...
Il participait à tous les événements de notre vie familiale. pour Noël, il offrit un billard à mes enfants. Un billard de sa fabrication sinon de sa conception :
On lançait une toupie avec une ficelle. Elle parcourait plusieurs cases en faisant tomber les quilles qui s’y trouvaient. On comptait les points. Je dois l’avoir encore quelque part, ce billard !
Il racontait un jour :
-” Lorsque j’étais au Grand Séminaire, je m’inquiétais tout de même. J’aurais voulu savoir pendant combien de temps me tenterait le démon de la chair, qui me tentait comme tout le monde ...
-” On finit par s’y habituer, me répondait mon directeur de conscience, avec l’aide de la prière ... Mais en fait, ce Démon-là ne nous lâche guère avant la cinquantaine. Il faut apprendre à lutter, et se souvenir que l’on a prononcé des vœux de chasteté ! “
Un jour, racontait le Père Brix ... C’était au Vietnam... En ce temps-là les prêtres n’avaient pas abandonné la soutane ... Je revenais d’une tournée dans la montagne. J’étais à cheval ... Une rivière à traverser. Mouiller ma soutane ? Cela signifiait terminer ma tournée avec un vêtement trempé, un tissu rêche, qui mouille , gratte et coupe la peau, provoquant des échauffements cutanés. Je considère le site :
Les rives sont bordées de roseaux, il n’y a personne ni d’un côté ni de l’autre ... La rivière n’est pas très large ... J’enlève ma soutane, je la plie, je la pose sur ma tête ... et je lance mon cheval dans la rivière. La traversée, ma foi, s’avère facile.”
-” Ah bien oui ! Je déboule dans les roseaux ... Toutes les femmes du village voisin étaient là, faisant leur lessive ! Comment ne les avais-je pas entendues ? Des rires ! Des moqueries ! Sans doute croyaient-elles que je ne comprenais pas le Vietnamien ? _ Toujours est-il que je les entendis s’exclafer : Il les a roses comme celles du buffle du village ! - Il n’y avait aucune ambiguïté sur la nature des choses dont elles parlaient : C’est vrai que celles des buffles sont roses !”
_” Mais, voyez-vous, me dit mon directeur de conscience ( Il m’avait accompagné sur le quai où je prenais le bateau pour la première fois ), voyez-vous, je vous ai dit que le Démon de la chair vous tourmenterait jusqu’aux alentours de la cinquantaine... J’ai moi-même largement dépassé la soixantaine : Il me tourmente encore !”
Je ne voudrais surtout pas donner l’impression ‘une quelconque trivialité. L’acte le plus pratique, le plus quotidien, était baigné de tolérance et d’humanité. “Un Homme”, c’est le titre que j’ai donné à ce récit et c’est bien d’un homme que je parle, dans toute sa complexité, avec toute l’amitié qui en émanait.
Il me faut pourtant conter une autre aventure, sans quoi le portrait que j’aurais tracé serait incomplet.
Au préalable, et ce n’est pas une digression à vraiment parler, il faut que je revienne à deux autres personnages hors du commun .
Le Père Brix avait loué sa maison, ou bien l’avait-il prêtée ? _ je n’ai pas à en savoir. toujours est-il que logeaient dans sa maison la “Mère Kiki” et son mari “Gros Loulou “ ! C’était un couple remarquable à bien des points de vue. Lui, il était orthopédiste, employé par l’Organisation Mondiale de la Santé. Et Dieu sait s’il avait à faire, dans cette zone et en ces temps troubles de guerres ! La minceur n’était pas sa qualité première, l’adjectif accolé à son sobriquet le dit assez. Mais en plus, il avait une jambe raide, la gauche si mes souvenirs sont bons. Pour un orthopédiste, ce n’était déjà pas mal, on en conviendra !
Mais ce n’était pas assez : son épouse, la “Mère Kiki”, femme de caractère s’il en est, on le verra plus loin, était elle-même ... unijambiste ! Sa jambe droite était remplacée par une sorte de pilon. Quand ils allaient ensemble, l’un clochait à droite, l’autre clochait à gauche ! Autrement dit, le couple paraissait dès l’abord parfaitement qualifié en matière d’orthopédie.
La “Mère Kiki” travaillait pour une agence de voyage. Elle prenait souvent l’avion. De ses voyage, elle ramenait toujours quelque chose pour les amis. Ce jour là, nous partions en pique-nique au bord du Mékong. Elle offrait des fromages. Des fromages ! Vous pensez, au Laos, des fromages fraîchement rapportés de France !
_”Mais la douane ? “
_” Je les avais placés dans le creux de ma jambe artificielle. J’ai délacé celle-ci et je l’ai passée à mon mari par-dessus le comptoir des douaniers ! “
Mais il y eut d’autres aventures, dont une qui est inoubliable !
Imaginez : “Gros Loulou” avait disparu, mais disparu ... depuis hier soir !
_”Oh ! Je sais bien où il st, dit la “Mère Kiki”. Il est encore (c’était donc si fréquent ? ), il est encore parti au bordel ! Il ne pourra rentrer que lorsqu’il sera dessaoulé ! Mais cette fois-ci, cela ne se passera pas comme ça ! Je vais aller le chercher, et je le trouverai, même si je dois visiter tous les bordels de Vientiane !
(Ils étaient nombreux en effet, même si les Américains avaient évacué le Laos ... )
Ce qui était grave, c’est que la “Mère Kiki” était armée d’un pistolet ! Elle avait une arme de gros calibre, ce qui s’expliquait par les événements. Elle saute au volant de sa voiture, bien décidée cette fois-ci à “lui faire la peau” !
Qu’auriez vous fait, à la place du Père Brix ? Il prend le volant, et les voilà partis tous les deux pour faire la tournée des bordels ! Au moins pouvait-il espérer calmer les choses ... Je ne sais combien de bordels ils visitèrent. En chemisette blanche, le père Brix menait les recherches comme il pouvait. Il parlait couramment le Lao et le Vietnamien, ce qui facilitait les choses ... Ils trouvèrent “Gros Loulou” cuvant comme il se doit ... cuvant l’opium ou bien l’alcool, je ne sais. Ils le ramenèrent à la maison;
Jusque là, le Père avait réussi à maintenir le calme.
Il en fut tout autrement quand on arriva ! Imaginez la scène :
“Gros Loulou” court autour de la maison, aussi vite que le lui permettent sa patte raide et son état embrumé ! La “Mère Kiki” court après lui en sautillant sur sa jambe artificielle. Elle brandit un Colt 45 chargé.
_” Salaud ! hurle-t-elle, cette fois-ci, j’aurai ta peau ! “
Le Père Brix, qui vient derrière, essaie de calmer les deux autres ! On ne peut guère imaginer scénario plus invraisemblable !
Bref, le Père fut vainqueur, puisque je retrouvai les trois protagonistes en vie ! Épiloguez donc si l’envie vous en prend : Fît-il pas mieux que de laisser aller les choses ?
Je lui avais écrit en Guyane, après l’avoir aperçu sur mon écran de télévision.
_” Il ne risquait pas de te répondre. Il était dans un hospice, à Vannes. Il serrait les dents : “ Tu sais, ça fait mal !”
“Il n’est pas possible que la parole de Jésus Christ ne parvienne pas à convaincre les hommes. Si nous ne l’avons pas accueillie, elle trouvera d’autres cheminements ! “
Je crois bien que lorsque Jean Brix, Oblat de Marie Immaculée me faisait cette déclaration , la seule qu’il m’ait jamais faite sur le thème de la religion, il était en train de me montrer des Bouddhas, en bustes ou dont on lui demandait de monter les têtes sur des socles de bois ! ( On avait découvert non loin de là, de l’autre côté du Mékong, et donc en Thaïlande, une immense métropole antique dont se trafiquaient les bronzes !
_” La nouvelle ère des idoles, me dit-il, mais il faut que je donne du travail à mes compagnons ! “
Jean Brix, j’ai dit ton nom.
Inscription à :
Articles (Atom)