mardi 2 février 2010
LES HOMMES
C’est loin, Punta Arenas, très loin … On y va en avion, en survolant la Cordillère. Il faut décoller de Puerto Montt. En dessous, on aperçoit des fleuves qui dévalent tout droit, tout blancs. On survole des océans de neige. Il n’y a personne ici, personne et pas un toit, pas une route, que de la neige, de la neige … De la neige. Des pics, des ondulations, des vallées … Neige, neige … Rien d’autre que de la neige.
Mer de nuages. Blancs, blancs, blancs. Trois cônes de volcans qui flottent, fumeroles paisibles. De nouveau la mer de nuages, ou plutôt un océan. À notre hauteur, l’air est limpide, transparent, fluorescent.
Déchirure, l’avion y plonge. Canal de Magellan ! La mer, la mer couleur d’étain terni, hargneuse, des îles, un wharf, des toits, des toits de tôle rouge. Il pleut, il pleut beaucoup. Très bas sur nos têtes, couvercle de fonte.
Punta Arenas … Avenue toute droite, au centre, une allée de gazon. Sur le gazon, des moutons de bronze, tout un groupe de moutons, le berger, son chien, son cheval bâté, tous en bronze et marchant … La Patagonie coloniale.
Cercle de rencontres et peut-être de jeux pour les « gens bien » d’autrefois. Un monument, statue de Magellan, des Indiens au bas du socle ... Touchez le pied de l’Indien, ça porte bonheur, d’ailleurs, le pied de l’Indien est poli par les nombreux frôlements : Il brille !
En face, ligne bleutée de la Terre de feu. Étain légèrement bleuté. Il pleut, il vente. Il vente, il pleut …
Passent des oies … Et peut-être des cygnes. Ici, ils ont le cou noir. … Il pleut encore, dru.
Cimetière de Punta Arenas : Dès l’entrée tombeaux monumentaux, de marbre noir, de marbre blanc. D’où venu, le marbre ? « Famille Mendoza » … Les Mendoza devaient fréquenter le « cercle »… Combien de milliers d’hectares et combien de milliers de moutons ? Combien de sociétés d’exploitation, de sociétés commerciales, combien de conseils d’administration ? … On peut les compter : Leurs noms sont tous inscrits sur plaques de bronze scellées aux parois du tombeau.
Autre mausolée, de style Grec celui-ci : Fresques dignes du Parthénon d’Athènes … Moutons, moutons, moutons … Marbre de Carrare !
Croix, croix de pierre, croix de bois … Beaucoup de noms slaves et croates. Les dates : Rares sont ceux qui vécurent longtemps : Rougeole, varicelle et puis … Le froid, le vent, la pluie, l’ennui, l’alcool : Celui-là est mort de « désespérance ».
Tombe de l’« Indiecito » … Tombe de l’Indigène Inconnu : Sa statue porte bonheur elle aussi : Toucher son pied.
On a exterminé les « Peuples Primitifs », Onos, Alakaloufs … Ils étaient grands et bien bâtis, ils vivaient presque nus. Ils pêchaient des moules et mangeaient la chair des baleines échouées. Ils naviguaient sur des pirogues d’écorce, emportant les braises de leur foyer d’un campement à l’autre. On les tirait comme des renards : Il le fallait bien, puisqu’ils volaient des moutons ! On les abattait et on leur coupait les oreilles, dont on faisait des colliers. On versait aux chasseurs des sommes intéressantes, pour chaque paire d’oreilles, qu’elles soient celles d’un homme, d’une femme ou bien d’un enfant. Les survivants ? – Ils se sont flambés à l’eau-de-vie !
Ils n’avaient qu’à tuer des guanacos, les « Indiens », au lieu de tuer des moutons ! Mais il n’y avait plus de guanacos : On avait bien été obligé de les tuer, les guanacos : Ils broutaient l’herbe des moutons !
Voir le musée des salésiens, en ville.
Au fond du cimetière, la tombe du dernier « Ono », ou du dernier « Alakalouf, je ne sais plus : Touchez son pied, cela porte bonheur !
Tout prés, tombe d’un enfant de trois ans. L’épitaphe est mémorable :
« Merci Petit, pour les trois ans de bonheur que tu nous a donnés ! »
Mortalité infantile considérable : diphtérie, rougeole, tétanos, varicelle … Un carré entier réservé aux sépultures d’enfants !
Punta Arenas … Canalisations d’oléoducs venant des puits de la Terre de Feu … Pétrole … Pas autant qu’on l’avait espéré !
Une épave sur des rochers, dans le canal de Magellan, rouillée, ajourée, déchiquetée : Clipper des voyages montant vers Valparaiso ou descendant vers Rio.
Plus au Sud, Ushuaia, plus au Sud encore, Puerto Toro, le canal de Beaggle et le Cap Horn, falaises, glaciers, rocs, arbres pourrissants, buissons et, au- delà, le continent antarctique. Il y a encore, paraît-il, des phoques, des manchots et des baleines.
À Punta Arenas, il n’y a plus de moutons, plus de bergers, plus de chiens de bergers, Il n’y a plus de chevaux et les clippers ne passent plus. Des paquebots promènent les touristes fortunés.
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